L’entrée en guerre de la France contre les forces de Gbagbo, le 4 avril, a sonné comme une revanche personnelle de Sarkozy.
Avec la bénédiction de l’ONU, Paris n’a pas laissé à personne d’autre le soin de bombarder la présidence ivoirienne ainsi qu’un camp militaire qui abritait aussi des familles. Depuis plusieurs semaines, en conseil des ministres comme en privé, le chef de l’Etat ne décolérait pas contre Gbagbo, « le dictateur sanglant en Côte d’ivoire ». Au point de s’avouer, le 5 avril, « à bout de patience ».
Outre les nombreuses et violentes exactions de ses partisans, Gbagbo avait aussi ridiculisé Sarko. En décembre 2010, après la victoire, proclamée par l’ONU, de son ami Ouattara, le président français, impérial, avait donné « quarante huit heures » au vaincu pour quitter le pouvoir. Un oukase superbement ignoré pendant plus de trois mois…
Or Sarko avait beaucoup misé sur ce scrutin pour rehausser une cote fort dévaluée sur le continent. N’était-il accusé de perpétuer la « Françafrique », ce système affairiste favorisant des groupes amis tels que Bouygues, Bolloré, Veolin ? Mais, après l’échec de son ultimatum ivoirien, le Président révise subitement ses positions et adopte un profil bas. Affirmant à la presse que « l’ancienne puissance coloniale n’était pas la mieux placée » pour intervenir.
En janvier, devant l’Union africaine, il ose même affirmer « La France ne veut donner de leçons à personne. » Il faut dire que les évènements de Tunisie, d’Egypte ou de Syrie n’ont guère fait briller la diplomatie tricolore.
La campagne (aérienne) de Libye, pour laquelle Sarko a obtenu le droit d’ouvrir le feu premier, a réveillé ses ardeurs belliqueuses. Selon plusieurs témoignages d’officiers supérieurs au « Canard », la France a appuyé la conquête du sud du pays par les forces de Ouattara. L’un d’eux, proches de l’Elysée, se félicite de « notre efficacité dans l’organisation de la descente sur Abidjan. » Il est vrai qu’en moins de quatre jours les forces républicaines de Côte d’ivoire (FRCI) ont parcouru, sans grande résistance, la moitié du pays. Un autre galonné, membre des services de renseignement, confie : « On a fourni des conseils tactiques aux FRCI » mais aussi « des munitions et des Famas (fusils d’assaut).
Barbouzes aux premières loges
De son côté, le contingent militaire français est porté, le 4 avril, à 1700 hommes. Les 900 hommes du dispositif permanent Licorne ont été notamment renforcés par des Rambo de la Direction des opérations (ex-Service action) de la GDSE et des Forces spéciales. Quelques uns, parmi ces derniers, se sont retrouvés en contact direct avec l’entourage de Ouattara. A 19h30, quatre hélicos Puma, soutenus par des MI 24 de l’Onuci, commencent leur pilonnage, frappant au passage des objectifs aussi stratégiques que le CHU et un supermarché du quartier de Cocody. Pour la seconde fois en sept ans, « l’ancienne puissance coloniale » bombardait des soldats et des populations ivoiriennes.
Armement à prix d’or
Cet héroïque canardage, qui, selon l’Elysée, laissait entrevoir une reddition rapide de gbagbo, risque pourtant de laisser des traces profondes. Et une situation difficilement gérable à Abidjan. D’abord parce que Ouattara pourrait pâtir, dans cette ville majoritairement acquise à Gbagbo, de son image de protégé de la France et des pays riches. L’armement de ses troupes, son équipement tout neuf ont suscité l’étonnement des Ivoiriens. Si l’aide du Burkina et du Nigeria est reconnue, d’autres pistes de financement apparaissent.
Selon des témoignages et des documents obtenus par « Le Canard », des proches de Ouattara ont monnayé, en 2009 et en 2010, d’importantes quantités d’or extraites des mines du Nord. Plusieurs tonnes ont été acheminées au Ghana voisin sous couvert des véhicules de l’ONU. Puis convoyées, par petites quantités, à Anvers (Belgique) pour y être transformées. A l’état de poudre, cet or a été négocié à plus de 15.000 euros le kilo.
L’image du camp Ouattara -présenté par certains comme « l’axe du bien » - restera également entachée par les massacres commis ces derniers jours. A Duékoué, par exemple, plusieurs centaines de morts seraient, selon l’ONU et diverses organisations internationales, surtout imputables aux FRCI, les forces de Gbagbo se voyant aussi accusées d’atrocités.
En contact téléphonique permanent avec Ouattara, Sarkozy, qui prétendait le soutenir au nom de la protection des civils, devra ramer dur pour faire oublier les exploits de certains chefs de guerre. Et pour transformer cette intrusion meurtrière en victoire de la démocratie.
Jean-François Julliard
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