Document - Côte d'Ivoire: De Youpougon à Bouaké - une suite de crimes impunis
AMNESTY INTERNATIONAL
COMMUNIQUE DE PRESSE
AI Index: AFR 31/008/2003 (Document Public)
Nr du Service de Presse : 043
27 février 2003
Embargo: 27 février 2003 00:01GMT
Côte d'Ivoire: De Youpougon à Bouaké - une suite de crimes impunis
"Bouaké, Daloa, Monoko-Zohi, Man sont devenus autant de synonymes de massacres commis en toute impunité par toutes les parties au conflit depuis le début de la crise ivoirienne en septembre 2002. Si les responsables de ces actes ne rendent pas au plus vite des comptes de leurs actes, la Côte d’Ivoire risque de continuer sa marche vers le chaos avec tous les risques qu’une telle implosion implique pour l’ensemble de la sous-région," affirme aujourd’hui Amnesty International dans un document paru qui reconstitue dans le détail le massacre des gendarmes de Bouaké par le Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI).
En octobre 2002, des dizaines de gendarmes ainsi que certains de leurs enfants, détenus sans armes dans une prison militaire à Bouaké, ont été abattus de sang froid par des éléments armés du MPCI. Les responsables de ce massacre ont justifié leur acte en rappelant à leurs futures victimes le massacre impuni d’une cinquantaine de civils à Youpougon, en octobre 2000, abattus par des gendarmes de la caserne d’Abobo, à Abidjan.
"Cette référence au massacre de Yopougon illustre de manière tragique comment l’impunité engendre un cycle infernal de crimes qui trouvent leur origine et leur justification dans des crimes précédents," souligne aujourd’hui Amnesty International.
Dans le cas de Bouaké, une soixantaine de gendarmes accompagnés d’une cinquantaine de leurs enfants ont été arrêtés le 6 octobre 2002 dans leur caserne parce que le MPCI les soupçonnaient d’être impliqués dans une tentative de reprise de la ville par les troupes gouvernementales. Les gendarmes ont été désarmés et conduits à la prison du camp militaire du 3e bataillon d’infanterie. Ce même soir, des éléments armés du MPCI sont entrés à plusieurs reprises dans la prison et ont tiré en rafales, tuant et blessant des dizaines de détenus.
"Amnesty International a pu reconstituer dans le détail les circonstances de ce massacre lors d’une mission d’enquête menée à Bouaké en décembre 2002 mais nous avons décidé de ne pas révéler tout de suite cette information car elle aurait mis en danger la vie des survivants de ce massacre,"précise aujourd’hui l’organisation.
Tous les gendarmes survivants ont été libérés depuis lors à la suite du paiement de rançons très élevées et Amnesty International peut maintenant rendre publiques ces informations.
Tous les détails de ce massacre tel qu’il a pu être reconstitué par Amnesty International et les noms d’une soixantaine de ces victimes figurent dans un document publié et intitulé : Côte d’Ivoire : une série de crimes impunis. Du massacre des gendarmes à Bouaké aux charniers de Daloa, de Monoko-Zohi et de Man.
Ce massacre s’est déroulé en plusieurs phases. Le 6 octobre au soir, des hommes armés sont entrés à trois reprises dans la petite prison militaire de Bouaké et ont abattu à bout portant une cinquantaine de personnes. Les survivants sont restés deux jours avec les blessés et les cadavres en décomposition sans recevoir de nourriture. Certains ont été contraints de transporter les cadavres et de les enterrer dans des fosses collectives et une dizaine d’entre eux ont très vraisemblablement été tués sur les lieux mêmes du charnier après qu’ils eurent enterré leurs camarades.
L’un des survivants de ce massacre a raconté : "J’étais caché dans la cellule de gauche et le mur nous protégeait des tirs mais l’un des ‘mutins’ s’est approché de nous et a jeté un coup d'oeil dans notre cellule en disant : ‘Ils sont encore beaucoup ici’. Il a arrosé la chambre de balles, puis il a pris un autre chargeur et a tiré sans distinction. Quand il est parti, je me suis grimé de sang et je me suis caché sous un cadavre pour me protéger."
Amnesty International a rencontré en janvier 2003 à Paris certains des plus hauts responsables du MPCI, y compris, le secrétaire général de ce mouvement, Guillaume Kigbafory Soro, et ceux-ci n’ont pas nié sur le fond la réalité de ce massacre tout en affirmant ne pas être personnellement au courant de ces faits. Le MPCI s’est dit prêt à accepter la venue d’une commission d’enquête internationale à condition que celle-ci ait pour mandat de faire la lumière sur l’ensemble des violations commises par toutes les parties au conflit depuis le début de la crise ivoirienne en septembre 2002.
La série de crimes impunis qui ensanglantent la Côte d’Ivoire depuis le soulèvement de certains éléments armés le 19 septembre 2002 a déjà causé la mort de centaines de personnes, notamment à Daloa, Monoko-Zohi et Man où des personnes ont été arrêtées et exécutées par les forces gouvernementales du président Laurent Gbagbo. Aucun responsable de ces crimes présumés n’a été arrêté.
Or l’accord de Linas/Marcoussis signé par toutes les parties ivoiriennes en janvier 2003 précise expressément que les "auteurs d’exécutions sommaires sur l’ensemble du territoire . . .[et les ] complices de ces activités devront être traduits devant la justice pénale internationale." La référence à la nécessité de mettre un terme à l'impunité figure également dans la résolution 1464 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée le 5 février 2002.
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