La Côte-d’Ivoire avait entamé son histoire récente
de manière à devenir rapidement un modèle
de développement africain. Le père fondateur de la
république, Félix Houphouët-Boigny, avait réussi à
gérer savamment le pouvoir quasi absolu qu’il
détenait tout en préservant l’équilibre subtil entre
les différents groupes de la soixantaine d’ethnies
qui peuplent ce territoire de 322.460 km2. A cette
stabilité politique s’ajoutait un développement économique
aux taux de croissance spectaculaires1
qui reposait principalement sur la production et
l’exportation de produits agricoles, essentiellement
le cacao et le café. Ces résultats ne furent possibles
qu’avec le concours d’une très forte immigration
depuis les pays voisins d’une main-d’oeuvre laborieuse
et bon marché, encouragée par la stabilité du
pays et la perspective de bénéficier de la maxime
chère au Président selon laquelle la terre est propriété
de celui qui la cultive.
C’est au début des années 90 que les premiers
signes de faiblesse de ce système commencent à
se manifester. En 1990, le régime du parti unique
tombe suite au sommet franco-africain de La
Baule2, les plans d’ajustement structurel imposés
par les bailleurs de fonds internationaux empêchent
l’économie ivoirienne de bénéficier des conjonctures
favorables sur les marchés des matières premières
et les erreurs de gestion du trésor public
apparaissent au grand jour, donnant lieu aux premières
émeutes sur fond de revendications sociales.
Pour faire face à ces problèmes d’ordre financier,
le président Houphouët fait appel à Alassane
Dramane Ouattara. Cet ancien cadre des institutions
financières internationales, vice-directeur du
FMI à la fin des années 80, musulman originaire du
Nord, est nommé Premier Ministre.
Suite au décès d’Houphouët annoncé officiellement
le 7 décembre 1993, une lutte pour l’accession
au poste présidentiel se déclenche entre le
Premier Ministre et le président de l’Assemblée
nationale M. Henri Konan Bédié3 ; elle sera finalement
remportée par le second en vertu d’une
disposition constitutionnelle. Les tensions nées à
cette occasion ne disparaîtront pas pour autant et
M. Ouattara finira par quitter le PDCI4 pour rejoindre
l’opposition au sein du RDR5.
Entre-temps, la conjecture économique devient
défavorable à l’économie ivoirienne qui subit les
contrecoups de la dévaluation de 50 % du franc
CFA de 1994, contribuant à appauvrir une grande
partie de la population. Les conditions sociales se
dégradent, favorisant l’apparition de tensions entre
les nombreuses communautés qui cohabitent avec
des difficultés croissantes. L’élection présidentielle
de 1995 introduit un nouvel élément de division
: le concept d’« ivoirité ». Elaboré et théorisé
par l’entourage de Bédié6, ce principe poursuit
avant tout un but politique, celui de justifier l’exclusion
de Ouattara de la course électorale en avançant
des doutes quant à sa réelle nationalité ivoirienne.
Les élections du 22 octobre qui consacrent
la victoire de Bédié avec 95,25 % des voix se
déroulent dans un climat tendu ; l’opposition opte
en effet pour le boycott du scrutin et le chef de
l’Etat-major de l’armée, le général Robert Guéï, est
limogé suite à son refus d’étouffer de manière
énergique les manifestations de protestation qui
entourent l’échéance électorale.
Sur fond de préparation de la nouvelle échéance
électorale et de tensions sociales croissantes, accentuées
par la suspension de l’aide internationale
en 1998 à la suite d’un scandale financier, la
question de l’ivoirité s’amplifie, menant à des dérives
xénophobes ; les accrochages entre les différentes
communautés présentes sur le territoire
national se multiplient et prennent des tournures
parfois violentes7.
1. Bref historique du pays
et contexte local à la veille
du 18 septembre 2002
1. A titre d’exemple, entre 1970 et 1979 la Côte-d’Ivoire
connut un taux de croissance annuel moyen du PIB de 6,7 %.
2. Une forme d’opposition, reléguée cependant à la clandestinité,
existait déjà. Parmi les mouvements les plus importants
figurait le Front populaire ivoirien (FPI) de l’actuel président
Laurent Gbagbo, créé sur des bases maoïstes en 1982.
3. Issu du groupe ethnique baoulé (famille des Akan), Bédié
était un proche du président Houphouët-Boigny.
4. Parti démocratique de Côte-d’Ivoire : il s’agit de l’ex-parti
unique fondé par Houphouët-Boigny.
5. Rassemblement des républicains. Ce parti de tendance
libérale fut fondé en 1994 par Djéni Kobena, lui aussi ex-membre
du PDCI, une des premières victimes célèbres de l’ivoirité.
Alassane Ouattara en assumera la présidence en 1999.
6. Jean-Noël Loukou, historien et directeur du cabinet de
Bédié, fonda une cellule universitaire chargée de codifier le
concept identitaire de l’ivoirité.
7. L’épisode le plus grave eut lieu en décembre 1999 dans la
sous-préfecture de Tabou, lorsque suite à des conflits à propos de
la propriété des terres, quelque 5.000 Burkinabé furent expulsés
par la force.
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