lördag 18 juni 2011

J’ai entendu parler de Lumumba, mais j’ai vu Gbagbo



Par Marjolaine Goue
Pour la bien jeune génération dont je fais partie, Patrice Lumumba est un héros africain des temps immémoriaux qui nous était narré dans les livres d’histoire. Il était dit de lui qu’il était un homme de foi et que son rêve d’indépendance totale pour le Congo et pour l’Afrique était sa raison de vivre et pourtant fut la cause de sa mort.
Ainsi, j’ai entendu m’être contée son beau rêve d’indépendance totale, le sien, mais aussi celui de tout Africain. Ce peuple qui porte encore les affres de la douloureuse trilogie esclavage, travaux forcés, colonisation. Il rêvait que l’Afrique écrirait sa propre histoire et qu’elle serait au nord et au sud du Sahara une histoire de gloire et de dignité.
J’ai entendu parler de son franc parler, de son caractère indocile qui n’était pas du tout du goût des colons d’alors. J’ai aussi entendu dire qu’il avait été séparé de sa femme et des ses enfants, qu’il fut seul abandonné de tous, humilié, torturé, brutalisé dans l’espoir qu’il abandonne son rêve et qu’il demande grâce mais on ne cessait de me dire qu’il était le genre d’homme qui préférait mourir la tête haute. J’ai aussi entendu parler de ce jour sombre qui restera gravé dans la mémoire de toute l’Afrique, jour où le décès de Lumumba a été annoncé.
A ma grande surprise, j’ai entendu dire qu’il avait été capturé par ses propres frères et envoyé au Katanga, une province hostile d’alors où il fut assassiné de la manière la plus effroyable qu’un homme ne puisse imaginer. C’était en 1961. J’ai entendu parler de Patrice Lumumba et plusieurs fois, je me suis dis, peut-être pour me faire une raison, que s’il avait vécu à mon époque où les organismes de défense des droits de l’homme fleurissent telles les herbes dans ma savane africaine, afin de conserver encore l’essence de la dignité humaine, rien de tout cela ne lui serait arrivé.
Et pourtant exactement 50 ans plus tard, j’ai vu de mes yeux Laurent Gbagbo qui poursuivait ce même rêve d’indépendance totale pour son pays et pour l’Afrique. J’ai vu en lui un homme avec un idéal dont il a porté le poids toute sa vie. J’ai vu en lui un homme à l’échine dure qui ne se plie presque jamais sous le fouet de l’oppresseur.
Je l’ai vu être sanctionné pour son indocilité, asphyxié économiquement et diplomatiquement isolé avec un embargo sur les médicaments pour parfaire la punition du mauvais valet. J’ai vu des gens en souffrir, et en mourir ; je l’ai vu de mes yeux et j’en ai souffert, mon âme était comme morte. J’ai compris à quel point avoir un rêve et le poursuivre pouvait engager non seulement sa propre vie mais aussi celle de toute une communauté.
Et pourtant, le pire était à venir. J’ai vu Laurent Gbagbo, traqué plusieurs jours de suite, bombardé, enfumé, asphyxié cette fois-ci par du gaz. Les bombes qui pleuvaient sur son toit, pleuvaient de plus belle sur la modeste demeure de ces nombreux Ivoiriens anonymes qui n’avaient jamais vu cet homme de visu et ignoraient même qui il était en réalité. J’ai vu des obus, des balles et la mort de si prêt pour la première fois de ma vie. L’hallali avait enfin sonné et j’ai vu Laurent Gbagbo entre les mains de ses propres frères, entravé, hué, vilipendé telle une vulgaire personne.
Au moment où il avait été mis torse nu aux yeux du monde entier, pour lui faire changer de vêtements, j’ai dû baisser les miens par réflexe, car dans ma culture africaine on ne peut regarder un chef dans son intimité. Je l’ai vu être séparé de son épouse, de ses enfants, de sa famille. Je l’ai vu vivre reclus dans une prison dans le nord du pays, en terre hostile, des rumeurs insoutenables de sévices, tortures, brutalités et même coma circulant à son sujet. J’ai vu Laurent Gbagbo vivre à mon époque où les droits de l’homme fleurissent telles les herbes dans ma savane africaine afin de conserver encore l’essence de la dignité humaine.
J’ai entendu parler de Lumumba, mais j’ai vu Gbagbo. Entretemps, rien n’a vraiment changé et l’Afrique n’est pas encore sortie de l’auberge. Ce beau rêve d’indépendance totale et de liberté tant chéri de nos ancêtres et pour lequel leur sang est versé, ce beau rêve nous le chérissons toujours alors que nous sommes sacrifiés sur le l’autel de notre propre patrie. Car tant que certains de nos frères n’auront pas compris la noblesse de cette cause, ce rêve ne sera que la carotte qui fait avancer l’âne.

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