Samedi 4 juin 2011
La semaine qui s’achève a connu la formation du deuxième gouvernement de Ouattara. Fait majeur, le FPI, la principale formation politique aujourd’hui dans l’opposition, n’en fait pas partie. Par ailleurs, les exactions et autres tueries des militants et sympathisants du FPI continuent dans les villes et villages du pays au moment même où des voix s’élèvent ici et là pour demander la libération de Laurent Gbagbo et ses amis et le retour au pays des exilés. De tout cela, Mamadou Koulibaly parle sans détour dans cette interview avec la passion et la détermination qu’on lui connait.
Notre Voie : Vous avez décidé de ne pas entrer dans le gouvernement Soro II. Vous estimez que cela vous gênerait dans la politique nouvelle du FPI que vous voulez mettre en place. Est-ce que cela a été bien compris par ceux de vos camarades qui prônaient «l’entrisme»?
Koulibaly Mamadou : Le FPI a décidé de ne pas entrer dans le nouveau gouvernement pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le partage du pouvoir n’est pas une bonne chose. Dès 2000, alors que l’équipe de Laurent Gbagbo avait fait ce choix, on a vu qu’il ne pouvait conduire qu’à l’inertie et à l’échec. De plus, nous considérons que les conditions sécuritaires ne sont pas encore bonnes pour nous permettre cette entrée au gouvernement. Cette participation n’est pas à nos yeux un gage de réconciliation. Le processus de réconciliation est bien plus profond qu’une apparente quiétude simulée dans un partage du gâteau. Nous sommes dans une totale logique de réconciliation mais nous souhaitons y travailler autrement. Cela dit, nous n’avons empêché aucun membre du FPI d’entrer au gouvernement. Seulement ceux qui le font doivent le faire en leur nom et non au nom du parti. Nous ne freinons personne mais nous souhaitons garder notre ligne de conduite. Nous sommes des opposants et nous avons à nous restructurer avant tout, après ce qui nous est arrivé.
N.V. : Que comptez-vous faire pour convaincre ceux qui ne partagent pas votre ligne et éviter ainsi un éclatement de votre parti ?
K.M. : Ils sont libres mais doivent le faire sans engager le parti. Il faut une certaine discipline dans un parti. C’est essentiel si nous voulons avoir une démarche construite et efficace.
N.V. : En choisissant de rester dans l’opposition, vous faites le choix de passer brusquement du stade de parti au pouvoir au parti d’opposition. Ne s’agit-il pas là d’un grand risque ? Le FPI a-t-il les moyens psychologiques, mentaux et financiers pour assumer pleinement un tel choix ?
K.M. : Dans une démocratie, les contre-pouvoirs sont aussi importants que le choix populaire à travers les urnes. Le risque pour un pays réside plus dans des gouvernements d’union qui ne mènent en principe nulle part. L’opposition ne doit pas être considérée comme un groupe de perdants qui attendent amèrement leur tour. L’opposition doit être dynamique et doit veiller à l’action du gouvernement en place pour prévenir des abus, des dangers et erreurs éventuels. Actuellement, les partis politiques bénéficient de financements publics. Nous ferons fonctionner le parti de cette façon si, bien entendu, le pouvoir en place décidait de nous appliquer la loi comme elle lui a été appliquée quand il était à l’époque dans l’opposition. Nous le souhaitons en tout cas pour le bien de la démocratie.
Notre Voie : Vos militants sont actuellement pourchassés, humiliés, maltraités et tués dans beaucoup de cas. Que faites-vous pour les aider ?
K.M. : Nous tentons de faire pression sur les autorités et sur l’ONUCI pour que la situation se rétablisse au plus vite. Nous avons été souvent entendus. De nombreuses personnes ont déjà été libérées. Il faut en remercier les autorités. Nous pouvons déjà noter une amélioration des conditions sécuritaires mais ce n’est pas encore suffisant. Pour aider nos militants, nous tentons de les rassurer et de les inciter à sortir. Les dernières réunions du FPI ont permis de briser un peu le cercle de la frayeur mais il reste du travail, d’autant que leurs craintes sont justifiées.
N.V. : Ils se réfugient dans les brousses, chez des amis ou à l’extérieur, notamment au Ghana et au Libéria. Avez-vous un plan pour leur retour au pays ?
K.M. : Nous n’avons pas de plan particulier sauf à continuer à faire pression sur les autorités pour que l’environnement sécuritaire s’améliore. L’insécurité ne dépend plus de nous. Maintenant que le nouveau gouvernement est formé et que chacun connait sa mission, nous espérons un retour à l’Etat de droit qui permette aux citoyens de vivre et circuler normalement quelle que soient leur appartenance politique, leur ethnie et leur religion.
N.V. : Certains de vos camarades vous reprochent d’avoir un discours très dur à l’endroit de votre parti. Ils ont le sentiment que vous avez oublié les propos que vous teniez au début de la rébellion en 2002 et qui accusaient la France de faire la guerre à la Côte d’Ivoire. Qu’avez-vous à leur dire ?
K.M. : Ce n’est pas parce que l’on appartient à un parti que l’on ne peut pas être critique sur ses actions. Dans mes discours, j’assume toujours la part de responsabilité de notre groupe. Certains n’aiment pas la notion de responsabilité alors ils me disent dur. C’est pourtant en étant responsable que l’on peut faire son autocritique et avancer plus efficacement. Je regrette qu’à un certain moment, nous nous soyons laissés portés par le vent de l’ivoirité, du tribalisme et de bien d’autres maux encore. Vous avez écouté Me Vergès quand il est passé ici avec Roland Dumas expliquer à la télévision ce que nous avions offert à la France ces dernières années. Pensez-vous que nous étions, au moment des élections, dans une logique de la guerre de la France contre la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo ? Il m’a semblé que nous avions dépassé cette contradiction.
N.V. : Oui mais pour eux, rien n’a changé entre temps sauf que, comme en novembre 2004, la France a décidé d’y aller à visage découvert. Vous semblez oublier ça dans vos propos.
K.M. : Il y a deux façons d’aborder un problème difficile : certaines personnes analysent une situation dans sa globalité et créent même des problèmes plus complexes à résoudre en additionnant et multipliant les griefs préexistants et d’autres externalités, ce qui rend la solution difficilement accessible et surtout démotivante ; d’autres brisent les questions en morceaux pour les résoudre par étape pour ensuite regrouper les petites solutions de chacun des morceaux dans une solution globale plus large. Je pense que la deuxième école de pensée est meilleure. Nous devons nous atteler à gérer les urgences pour être efficaces. Si nous voulons tout gérer d’un coup, nous allons droit dans le mur.
N.V. : Ils vous reprochent aussi de penser ou de croire que c’est dans les urnes que votre candidat a perdu.
K.M. : Je crois que c’est un débat qui est devenu stérile. Nous ne pouvons pas passer les cinq prochaines années à pleurer et à nous morfondre. Quel que soit notre ressenti, nous devons avancer dans le nouvel environnement politique. Nous engager dans un nouveau contrat avec les Ivoiriens en oubliant les vieux démons. Notre rôle est de trouver la voie pour soutenir la démocratie et veiller à l’édification d’un Etat de droit et d’une Nation fraternelle. Nous devons faire des propositions et veiller à ce que la situation que vient de vivre la Côte d’Ivoire ne se renouvelle plus jamais.
N.V. : A propos de la libération du président Laurent Gbagbo, vous avez confié à un confrère que ce n’était pas votre priorité. Cela a fâché nombre de vos camarades. Le savez-vous ?
K.M. : Il faut relire mon interview et reformuler la question. Depuis la signature des accords de Marcoussis, tout s’est enchainé pour que nous en arrivions à la situation finale. Le manque de vision politique a conduit au chaos. La situation de Laurent Gbagbo, même si elle n’est pas une priorité, reste un sujet de préoccupation. En effet, nous ne souhaitons pas qu’il soit le bouc émissaire d’une situation où les responsabilités sont partagées. Son cas est entre les mains de la justice qui doit maintenant faire son travail. Sachant que même si nous nous essayons à nous morfondre jusqu’à la décision de justice, ça ne changerait rien, bien que nous ne soyons pas indifférent au cas de Laurent Gbagbo, il nous faut continuer le combat. Lui-même avait dit que s’il tombait un jour, il faudrait l’enjamber pour continuer le combat. Enjamber ne veut pas dire oublier et les militants devraient le savoir.
N.V. : Avec autant de reproches, pensez-vous qu’ils vous suivront dans vos appels à la mobilisation?
K.M. : Pour l’instant, malgré les peurs et l’insécurité, la mobilisation est forte. Bien que je préside le parti par intérim, je ne compte pas le gérer comme une PME familiale ou un club de soutien. Le FPI n’est pas Koulibaly. Les partisans ne se mobilisent pas pour moi mais pour le parti, pour nos idées, pour notre combat, pour nos valeurs et pour les priorités que nous avons à gérer notamment pour la préparation des élections législatives.
N.V. : Si vous n’êtes pas suivi, comment allez-vous réussir le pari de la mobilisation pour préparer sereinement les prochaines échéances électorales ?
K.M. : Les prochaines échéances électorales sont bien compromises. Le pari de la mobilisation ne repose pas que sur moi mais sur la volonté et la responsabilité de chaque militant. C’est l’engagement personnel qui conduit un individu à prendre part au débat politique. Je pense que les derniers évènements du pays ont conduit les partisans à comprendre l’importance de la politique et de ses dangers. Ils ont compris l’importance de la vision politique. L’une des voies pour affirmer ses idées et les défendre est l’appartenance à un parti politique. Et je pense que «Notre Voie» devrait aussi se mettre dans la logique de cette nouvelle approche du FPI et de l’opposition. Dans les jours qui viennent nous vous ferons des propositions.
N.V. : Par la même occasion, les fâcheuses habitudes dont vous voulez-vous débarrasser risquent d’avoir la peau dure ?
K.M. : Je crois en l’homme et je crois au changement dans des circonstances nouvelles. Le traumatisme des violences entourant le dernier scrutin sera à mon avis formateur. Nous ferons un bilan de nos actions, de nos réussites et de nos échecs. Nous sommes certes en train de nous relever mais la chute a été telle qu’elle ne peut qu’ouvrir une nouvelle ère dans la gestion et la stratégie du parti.
N.V. : Avant d’écrire à Soro pour lui faire savoir votre refus d’entrer au gouvernement, est-ce qu’il y a eu des discussions ?
K.M. :J’avais réuni le FPI et le CNRD et le choix est le fruit d’une décision collective conformément au mandat qui m’a été donné.
N.V. : Combien de portefeuilles ministériels vous proposait-on ?
K.M. : Deux portefeuilles ministériels nous ont été proposés. Nous devions proposer six noms parmi lesquels le président de la République aurait fait le choix.
N.V. : Quel est le prochain agenda du président du FPI par intérim ?
K.M. : Nous travaillons avec les militants sur différents sujets, entre autres : la préparation des élections législatives, la sécurité, la composition de la CEI, le découpage électoral, l’avenir de l’accord de Ouagadougou. Dans les jours et semaines à venir nous allons aborder ces sujets avec les autorités pour faire en sorte que les règles du jeu des prochains scrutins soient admises par tous. Nous avons vu lors de l’élection de novembre dernier que lorsque l’on néglige les dossiers qui fâchent avant le scrutin, on se retrouve dans un blocage meurtrier. L’expérience doit être constructive.
Propos recueillis par Abdoulaye Villard Sanogo
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